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À Genève, les « As » du poker sont « Rois »

Mercredi 11 Mai 2016

Ils se cachent dans des appartements, des locaux ou dans des arrière-salles de bistrots. Pratique illégale, les cash games fleurissent dans la cité de Calvin. Enquête au cœur du monde privé du poker clandestin.


Flop, raise, call, flush, check, un bestiaire de mots anglo-saxons qui sentent le combat. Ce vocabulaire ne vous dit rien ? C’est que vous n’êtes pas un grand amateur de cartes, le poker en l’occurrence. Ce jeu de cartes s’est développé partout dans le monde, après la célèbre victoire d’un amateur, Chris Moneymaker, au 34e Championnat du monde de poker pour un gain de 2,5 millions de dollars. Le plus gros gain jamais gagné à l’époque. Une somme qui en fait rêver plus d’un, y compris à Genève.
La Cité de Calvin, justement, nous y sommes, mais cette fois-ci, pas de casino ni de paillettes, encore moins de caméras. C’est à l’abri de tout regard que se jouent les partis de cash games. Frédéric* jette un nouveau coup d’œil furtif à ses deux cartes, tâche de lire une nouvelle fois un tell sur le visage fermé de son adversaire. Puis, se décide à suivre, en poussant un paquet de jetons sur le tapis. Les jeux sont faits. Une paire de rois en main, face à une paire de dames. Le jeune homme vient de gagner une importante somme d’argent : « J’en étais sûr », lâche-t-il avec un large sourire.
Nous sommes près de la plaine de Plainpalais, dans un appartement presque délabré. À l’intérieur, pas de cuisine ni de salon. Tout juste des toilettes et un canapé suffisamment grand pour s’y allonger. Derrière une porte, une table de poker entourée de 9 sièges. Accrochée aux murs, une dizaine de panneaux en mousse acoustique, afin d’absorber le maximum de bruits. Le propriétaire vient à peine de fêter ses 25 ans. Nous l’appellerons Sam*. « J’ai loué cet appartement pour pas grand-chose, il me permet d’organiser des parties de poker avec des amis, dans un cadre familier ». Loin d’être anecdotiques, ces parties lui rapportent beaucoup d’argent, sans même jouer. L’astuce ? Le principe est le même que dans un casino : sur chaque main jouée, le croupier prend sa part : « Dans un casino, ils prennent 4 % de chaque pot, ici nous prenons entre 1 et 2 % ». Tout le monde est gagnant. Nous n’aurons pas de chiffres exacts, mais avec une simple observation, nous avons estimé que le propriétaire pouvait gagner entre 400 et 600 francs par soir. Net d’impôt bien sûr...
Des personnalités variées
Des lieux comme celui-ci, il en existe plusieurs à Genève, et les montants sur la table varient entre 1000 et 10 000 francs environ. Cela dépend des joueurs présents. Nous en avons rencontré plusieurs, chacun avec une personnalité bien différente, un objectif différent, un profil différent. Fabrice a 27 ans, il ne travaille pas. Comme beaucoup d’autres, il espérait gagner sa vie au poker. Il est même parti à Las Vegas, rejoindre les stars pour se mesurer à elles : « Je suis resté là-bas 6 mois, à jouer, boire et sortir, explique-t-il. Dans un premier temps, on se croit dans un rêve, c’est magique. Au fil des mois, on se rend compte que ce n’est que du vent ». Selon lui, de jeunes joueurs auraient perdu plusieurs dizaines de milliers de francs en une seule soirée : « Il y en a un qui a perdu 18 000 francs sous mes yeux, en 6 heures de jeu. Il était abattu ». Le poker donne du rêve autant qu’il détruit l’espoir de fortune.
David est père de famille, a 47 ans, il est cadre dans une entreprise d’informatique. Il fait partie de ceux qui jouent régulièrement, entre 2 et 4 fois par semaine. « Vivre du poker est quelque chose d’utopique, je pense, seuls les grands joueurs sponsorisés peuvent s’en vanter ». Pour lui, le poker est un passe-temps. « Certains jouent à la roulette chaque semaine, moi c’est le poker ». Lui, il ne se contente pas des parties de cash games, il participe aussi aux tournois de la région : Divonne, Montreux, Aix-les-Bains, Lugano, etc. Addict, il se veut quand même rassurant : « C’est toujours moins malsain que ceux qui dépensent leur argent dans la drogue ».
Une pratique qui reste illégale
« L’organisation ou l’exploitation par métier de telles parties de poker et de tournois en dehors des maisons de jeu sont interdites », voilà ce que l’on peut lire sur le site de la Commission fédérale des maisons de jeu (CFMJ). Le porte-parole de la police de Genève, Jean-Philippe Brandt, admet cependant que la lutte contre les tournois de poker illégaux est loin d’être une priorité. « La problématique étant de faible importance, la surveillance est proportionnée », affirme-t-il. Ce dernier assure néanmoins qu’il reste attentif à la question et rappelle que les organisateurs d’un tournoi clandestin risquent une amende pouvant s’élever jusqu’à 500’000 francs. Pourtant, la loi bascule gentiment en faveur de la légalisation. Le 21 octobre 2015, le Conseil fédéral a intégré cette légalisation dans son nouveau projet de loi sur les jeux d’argent, qui remplacera celles régissant les casinos et les loteries. Cette loi prévoit aussi l’exonération de tous les gains liés aux jeux d’argent (actuellement, seuls les gains des loteries et des paris professionnels sont imposés), ainsi que l’autorisation des e-casinos. La légalisation des tournois de poker est soumise à plusieurs conditions : faibles mises de départ, possibilités de gains réduites et l’obtention d’une autorisation cantonale par l’organisateur. De plus, la totalité de la mise devra être reversée aux joueurs.
* prénom d’emprunt
 

"Les casinos auraient loupé le coche!"

Jérémie* est un ancien organisateur de poker cash games. C’est dans l’arrière-salle d’un bar que les joueurs étaient invités à en découdre. Il accepte de répondre brièvement à quelques questions :
Pourquoi organiser des partis de cash game ?
La faute au casino avant tout ! Celui de Genève ne propose pas de tables de jeu, les joueurs devaient se déplacer jusqu’à Divonne ou Montreux pour pouvoir jouer. Et puis nous, nous prenions moins que le casino. Donc qui allait se plaindre ?
Durant 4 ans, vous avez pu en vivre décemment ?
Oui, avec le boom du poker, le nombre de joueurs était en pleine expansion. Tout le monde était prêt à sortir des sous de sa poche pour venir s’affronter jusqu’à 10 heures du matin parfois !
N’avez-vous jamais eu peur des risques que vous encouriez ?
Oui et non... Au début on fait super attention. On invite que des amis et des connaissances. Puis lorsqu’on est ouvert 4 ou 5 fois par semaine, on fait venir du sang neuf. Je pense que la police était au courant pour les parties, mais ne savait ni où ni n’avait les moyens ou le temps de chercher.
 

Je float au turn pour te trap river

Le vocabulaire du poker est truffé de nombreux termes anglo-saxons qui rendent la conversation entre deux joueurs chevronnés totalement opaque au débutant. Voici quelques exemples pour mieux s’y retrouver :
Tell : Un tell au poker correspond à un changement de comportement ou d’attitude d’un joueur qui peut donner des informations capitales aux autres joueurs sur la force de sa main.
Buy in : C’est le droit d’entrée à une table de poker, il est défini à l’avance par l’organisateur. Il peut varier de 10 à plusieurs milliers de francs.
Tilt : Ce mot définit une manière de jouer totalement absurde. Le tilt apparaît souvent lorsqu’un joueur vient de perdre un ou plusieurs coups d’affilée.
Bankroll : Le montant d’argent qu’un joueur dispose pour jouer au poker sur une durée plus ou moins longue. La règle veut qu’un joueur ne dépense pas toute sa bankroll dans une seule partie, au risque de tout perdre d’un coup.
Bluff : C’est ce qui rend le poker amusant, excitant. Lorsque l’on bluffe, ça signifie que l’on surjoue une main pour faire croire à son adversaire que l’on possède un monstre, alors qu’il n’en est rien.
 

Morgan Fluckiger


L’Ecole de Iournalisme et de Communication de Genève

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